Il y a quelques temps Respect Mag m’a demandé de leur faire un p’tit article pour leur numéro Hors Série de Novembre. Enthousiaste comme je suis j’ai écrit une version trop longue qui ne sera donc pas publiée (en plus de la bonne hein). Je pense néanmoins qu’elle a toute sa place ici. C’est un texte assez généraliste d’où le besoin de faire l’intro que je suis en train de faire, en direct live sous vos yeux ébahis et qui est finie dès ce point là –> . <–

Un jour une gentille « madame » questionne ma petite sœur sur sa famille. Au cours de la conversation elle dit «  J’ai un frère à l’université et mon frère il est en fauteuil » avec la tournure chaotique propre aux gamines. La dame, sans se poser de question est partie de la supposition que ma sœur avait deux frères, l’un à roulettes, l’autre qui fait des études. Or, il n’y a de frère que moi, l’étudiant en fauteuil.

Je crois que cette anecdote véridique illustre bien le problème central que beaucoup d’estropiés en tout genre connaissent. La perception du handicap est assez éloignée de la réalité.

Si on est dans un fauteuil la plupart des gens considèrent que le cerveau déconne aussi. Combien de fois des personnes aussi bien intentionnées que débiles m’ont gentiment passé la main dans les cheveux, me parlant comme à un demeuré pour se rendre compte finalement que, ouais, j’ai eu mon bac. Rien de plus jouissif que de les voir comprendre un peu tard que le fauteuil ne fait pas le handicap.

Les regards qui se posent sur moi sont variables, là on me prend pour déficient intellectuel, ici on ne comprend pas comment je peux être aussi joyeux, souriant, tout simplement heureux avec ce qui m’arrive. D’avoir grandi avec un handicap fait que pour moi la question du bonheur ne se pose pas et mieux que ça, la tristesse est une perte de temps. Les gens se disent qu’ils sont bien lotis et nous plaindre doit apporter une espèce de satisfaction judéo-chrétienne à la con. Le paradis est assuré pour les compatissants. Eh bien, j’avoue, la compassion, moi, ça me débecte. Voir n’importe quel passant me regarder l’œil luisant de bons sentiments et de tristesse, soulagé de n’être pas à ma place me donne des envies de meurtre. Et le pire du pire c’est que ce même genre de personnes, dans une file pour une attraction, une queue pour un ciné ou autre me marchera dessus pour me passer devant. Dès que l’intérêt du valide neuneu est en jeu c’est : dégagez les infirmes. Plaindre le myopathe du village évite de s’interroger sur l’accessibilité dudit village « Oh le pauvre, il est handicapé, oh le pauvre, il ne peut pas circuler dans le village, oh le pauvre il… Gérard mets la deux s’il te plaît c’est l’heure des infos… ». La bonne conscience ne me fait pas passer les trottoirs.

Mais la compassion dure un temps. Dès qu’un handicapé tend à vouloir critiquer sa situation, il devient des plus emmerdant. Souvent, quand je réclame, avec impudence, l’application stricte de mes droits les plus élémentaires comme, l’accès à l’éducation ou à l’autonomie, très vite je sens que je gêne. Je suis sorti de mon rôle du mignon petit handicapé docile qui prend ce qu’on lui donne et qui remercie qu’on daigne lui accorder du temps. Et cette sortie du rôle attendu est sévèrement punie, le rejet survient et les responsables de ceci ou de cela prennent l’air le plus condescendant possible pour expliquer au con inconscient que je suis l’impossibilité de sa demande.

L’handicapé doit être gentil, s’il n’est pas gentil : tout s’écroule. Dès qu’il s’exprime, dès qu’il se bat pour ne plus être discriminé, incompris, rangé dans une case, le pauvre petit éclopé dont le paradis est assuré, alors là il devient méchant, très méchant-vilain-pas beau.

Eh bien soit, méchant, je suis et je resterai.

Voilà !

Bonus sorti du nulle part :