Il y a quelques jours je suis allé passer la nuit dans un CMI. CMI c’est les initiales de Centre Médico Infantile. J’y suis allé pour passer, comme chaque année depuis un certain temps, une série d’examens nocturnes. Même si je me passerai bien de ce genre d’immersion ça me permet de faire un petit compte-rendu de ma visite. Ne nous trompons pas un CMI c’est une taule. Une taule pour handicapés, certes, mais une taule.


Je dois y arriver à 20h pour y passer la nuit. J’arrive à 20h05. Être en retard c’est la règle numéro 1. Cet endroit donne la chair de poule quand on y rentre. Déjà, dans le hall d’entrée un tas de fauteuils roulant vous accueille. J’en ai compté 13, qui semblent dire bienvenue. Le deuxième truc qui te saute à la figure c’est l’odeur. Ça sent le désinfectant à plein nez. Il faut dire que cet internat ressemble beaucoup à un hôpital. Les personnes qui logent sont toutes atteintes de handicaps très graves et souvent multiples. En plus d’être myopathes ils sont déficients intellectuels. Une infirmière nous accueille et nous conduit à la chambre « d’invités » au bout du bout du bâtiment. Les données géographiques de la chambre sont 45°43’32.53″ N ; 3°05’32.47″ E, allez voir sur Google Earth vous trouverez cet endroit merveilleux. La traversée est longue et éprouvante. En effet les résidents se couchent et ici on ne ferme pas les chambres. Donc avec ma mère qui m’accompagnait nous avons pu voir tout le monde en train de se faire manipuler, installés dans leurs lits. L’intimité est inconnue ici. Le personnel n’en a rien a foutre. Le but c’est de fonctionner le plus rapidement et économiquement possible. Entre les traitements, les couchers, les repas, c’est  à la minute près. On arrive enfin dans la chambre, que l’on s’empresse de fermer. Pour s’isoler d’un monde qui n’est pas le notre, et que l’on nous envoie en pleine poire sans autre forme de procès.

La chambre est grande pour laisser la place pour les fauteuils, mais ce n’est certainement pas un lieux fait pour vivre. Tout d’abord il n’y a pas une chaise. Pas besoin, qui irait rendre visite à des handicapés ? Franchement, ils sont mieux entre eux… Dans un coin il y a un lavabo, tellement coincé que si je veux l’utiliser, personne ne peut l’atteindre avec moi pour m’aider. Une poubelle  à pédalier trône non loin. C’est fait pour le personnel, lors des soins et des actes quotidiens.  Les interrupteurs et les commandes de volet roulant me sont inaccessibles. Surtout aucune possibilités de se démerder tout seul. On sent bien que le but c’est toujours plus d’efficacité. Déjà les personnes internes ne peuvent quasiment pas agir sur leur environnement mais en plus aucun effort n’est fait pour parvenir à plus d’autonomie. On va pas me faire croire que c’est une vie. C’est au mieux une survie dans ce genre de centres. Sur les murs, des photos publicitaires de camions Renault. C’est même pas sûr que ça soit un choix de la personne dont je récupère la chambre pour la nuit. L’année dernière il y avait une affiche d’un concert de Chantal Goya, bonjour le niveau. C’est vrai que les jeunes sont déficients intellectuels, mais Chantal Goya ??!! Sérieusement ? C’est comme si les organisateurs de sortie, en gros les éducs, avaient pour unique but de maintenir les résidents dans la bêtise la plus complète. C’est pas fair-play… On sait très bien que l’ouverture d’esprit fonctionne aussi chez ce type de public. Enfin bref, la soirée avance et ma mère demande un lève personne pour pouvoir me coucher. L’aide soignante va donc chercher le lève-malade… Je ne peux pas m’empêcher de rectifier lève personne entre mes dents. Mais rien n’y fait, pour elle c’est un lève-malade. La personne en fauteuil n’est pas une personne mais un malade. Un malade doit être transporté, pas un personne. Ce genre de petit détail m’agace souverainement, je ne peux pas m’empêcher de le prendre comme une insulte.

un lève PERSONNE !

Il est 20h24 et j’ai déjà envie de me barrer, très, très loin. Je sors prendre l’air avec ma mère un petit quart d’heure. J’ai le temps d’entendre une aide-soignante s’approcher en soufflant d’une chambre dans laquelle on a besoin d’elle. S’adressant à sa collègue elle éructe un sympathique  » Qu’est ce qui veut ç’ui là ? » J’aurais été « ç’ui là » je l’aurai très mal pris. Bon c’est vrai c’est super chiant un myopathe. Il faut le nourrir, le laver, le lever, l’habiller, le coucher et en plus essayer de l’aider si il a besoin. Plus chiant qu’un chien et vachement moins doux au toucher. Cette sympathique kapo me rappelle les premières années où je venais. Les infirmières et aides-soignantes avaient décidé de me parler à la troisième personne, ou de parler de moi à travers mes parents. C’était formidable. Un traitement très humain des zaroulettes.

Enfin je sors, vite, pour ne pas tuer cette charmante personne.  Moi, j’ai 20 ans et ici personne ne me vouvoie. Certaines personnes ne m’ont jamais vues. En plus c’est pas des gens rencontrés en soirée. C’est des professionnels. Mais moi je ne suis qu’un myopathe alors pas besoin de me traiter avec respect. J’ai jamais passé le cap de leur répondre en tutoyant, à tester…

20h30 tout le monde au lit. Ici c’est la routine la plus totale qui règne. Coucher 20h30, levé 7h00, douche 7h30, Petit déj’ 8h tapantes. Une vraie utopie pour Kim-Jong -Hil. Le CMI c’est une petite Corée du Nord. Charmant. On regarde un film ultra intelligent pour compenser –> UNE JOURNÉE PARTICULIÈRE D’ETTORE SCOLA.<–  Je traîne un peu, je dors très peu, avec un machin branché sur l’oreille. La nuit est entrecoupée par des discussions à voix hautes des personnes assurant le service de nuit, par les alertes des respirateurs et pas les bruits inhérents aux lieux médicalisés.

Un autre truc me dérange, c’est les lits. Les matelas sont emballés dans des housses plastiques. Juste recouvert pas un dessus de matelas en coton. Chez moi la housse de matelas est en coton. Le plastique c’est peut-être facile à nettoyer, mais en été, dormir dessus ça ressemble à de la torture. ça colle c’est infernal, abominable. Mais visiblement personne ne se plaint, ou personne n’écoute les plaintes.

Le matin à partir de 6h30, les fauteuils ayant chargés toute la nuit sont débranchés violemment. Une bonne journée qui commence :D . La routine se met en place, comme tout les jours de l’année, jusqu’à la mort. Oui, le CMI comme toutes les taules hospitalières, c’est aussi un mouroir. Les aides soignantes lèvent les jeunes avec leurs putains de lève-malade. Elle s’apostrophent de chambre en chambre, discutent comme si elles levaient des patates.

Je me rappelle une fois une aide soignante avait fièrement balancée à sa collègue dans une autre chambre  » Ginette (un nom au pif), j’ai réussi à le lever toute seule ! »  Dommage que si je veux lui en coller une ma main ne parviennent pas à se lever toute seule ! Et le pire je crois c’est que les madames elle gueulent tout le temps. On dirait qu’elle croient que la myopathie rend sourd en plus. Elles agissent comme beaucoup de gens agissent avec des handicapés, ou des étrangers. Comme si hurler rendait le propos plus clair.

Enfin on quitte cet endroit pour y revenir dans un an…

Alors oui, c’est vrai que les personnes qui vivent dans ce genre de centre demandent des soins très lourds, je sais aussi que tous les parents ne peuvent pas prendre en charge seuls leur gamin gravement handicapé. Parfois les installer dans ce genre d’établissement est la dernière solution. Soit, mais on ne m’enlèvera pas de la tête que les choses pourraient être mieux. Les résidents ne sont pas biens traités, leur intimité est inexistante. On ne les respecte pas en tant qu’individus. Aucune liberté, aucune possibilités d’évoluer dans la vie. Quand tu rentres au CMI tu n’en ressort plus. Ton existence est stoppée, la routine remplace la vie. Au nom du bien de tous les pensionnaires, l’équipe du personnel oublie les bases du respect des individus. Au nom de l’efficacité on néglige l’essentiel, le contact humain. J’ai aussi l’impression que ces taules à vieux, à handicapés, à malades psychiques servent à ranger les gens considérés comme gênants. On évite le mélange entre valides et à roulettes. Faudrait pas que cela donne des idées. Les handicapés avec les handicapés, les valides avec les valides. Si ça c’est pas de la ségrégation, ça y ressemble fortement.  Alors je sais aussi que l’équipe dirigeante et le personnel fait face à des baisses constantes de budget. Mais quand même certains gestes sont possibles dans l’état actuel des choses, comme frapper aux portes avent de rentrer. Ne pas oublier dans le rituel quotidien que les pensionnaires sont avant tout des personnes, pas des handicap ou des maladie. C’est plus du travail social, c’est de l’artisanat sur sujet vivant. Entre les appareils, les soins et les tranches horaires on oublie l’être humain. Mais l’État à décidé depuis un certain temps qu’il fallait rationaliser les dépenses de santé et de solidarité. Alors dans ce genre de centre, les coupes de budget se sentent tout de suite.  Il y réellement la nécessité de repenser notre fonctionnement solidaire. Le traitement que l’on inflige aux « différent-e-s » montre bien l’état merdique de notre société.

Feu à volonté !

Mais pour espérer changer les choses de façon utile il faut avant tout changer la société de fond en comble, et parfois une étincelle et un bidon d’essence peuvent faire l’affaire, du moins dans un premier temps….